Un peu de recul est nécessaire… les affects moins présents laissent place à une réflexion plus posée, porteuse d’un point de vue que vous auriez tort de négliger.

La présente lettre fait suite à la présentation le 6 Février 2015 au palais des congrès du projet dit “Des Isles” de rénovation du parc des sports. Elle est adressée aux différents protagonistes de la réalisation et à M. Russi (pdg du groupe Boas) en particulier. Elle est tournée vers un “je-ne-sais-quoi”, disons un “presque-rien”, et c’est bien là le problème.

Le projet dit “des Isles”, s’il est insulaire, semble marqué d’isolement et de surdité. Le rien adressé – peut-être rusé – apparait sous les chiffres lancés confusément entre financement public et privé, présentation partielle et insuffisante et jargon d’économiste. Ce rien est un vecteur si misérable de votre projet qu’on voulût le cacher de son importance. Je me bornerai ici à vous rappeler, pourquoi un site des activités sportives et de loisirs, aussi étincelant, brillant et rutilant soit-il… comporte un CAPITAL HUMAIN autrement plus porteur d’avenir que votre capital financier, économique et architectural.

Le capital humain essentiel dans un parc des sports n’est pas synonyme de réduction des coûts, d’économies ou de viabilité. Si, dans votre démarche, il s’y rapporte, c’est au miroir de vos écrans vides de sens, qui disent bien plus sur votre rapport à l’homme que sur le supposé réalisme de votre projet. Le vecteur humain est synonyme de lien social, de disponibilité, de dialogue ou d’encadrement. Il assure aux participants des activités dont les risques sont minimisés et de surcroît, contrôlés. Un parc des sports est un site de rencontres, d’échanges et du mieux-vivre. Que croyez-vous, messieurs, que le personnel qui travaille à la dynamique d’un tel lieu n’est bon qu’au nettoyage (si nécessaire au demeurant) ?

M. l’ingénieur du bois, créateur du palais de l’équilibre, l’écrivait en marge dans sa présentation claire et concise, à peu près en ces termes : “Comment puis-je imaginer aujourd’hui les projets de demain ?”. C’est une conception de l’avenir qui se joue ici.

Un projet est d’abord une projection, c’est une manière de se jeter en avant, d’imaginer les possibles. Et vos possibles messieurs, convoquent le rien. Les questions posées sur l’exploitation du site n’ont trouvées aucune réponse. La question sur les emplois à créer, pertinente, et qui raillait “l’idole du 3ème âge” a été entendue partiellement et développée à mi-mot, mais dont la moitié vaut son pesant de mépris. Notre environnement d’altitude est loin de l’anonymat des villes. C’est aussi cela que certaines personnes viennent chercher pour un week-end, des vacances ou encore pour acheter ou louer une résidence secondaire. Quant aux résidents eux-mêmes… les indigènes… ils ont choisi une vie dont la qualité n’est pas seulement l’appanage de “l’esthétique architecturale”, mais aussi liée à la perception d’un paysage qu’ils s’approprient.

C’est vrai, comme le disait cette dame, c’est un beau projet. Il est respectueux du paysage, associant l’énergie durable et les matérieux de qualité, le bois suisse et la minéralité des montagnes. C’est aussi, tel que le disait M. Widmann, une rénovation nécessaire et urgente. Mais, prolongeant ce qui fut dit, là où les fissures de vieux batiments laissent fuir l’eau de source, il ne faudrait pas faire fuire les idées…

Un peu de réalisme ! Mon discours l’est bien davantage que le vôtre ! Si la potinière et le parc des sports de 1958 fuit de toutes parts, n’imaginons pas une marre aux canards du troisième âge… ou pas seulement… et espérons dans les nouvelles générations si souvent méprisées (comme s’ils étaient des gardes-bains ! …). La jeunesse adolescente des Diablerets se retrouve très volontiers dans la halle du parc des sports, à la piscine ou aux abords des tennis. Les animateurs du site les connaissent bien puisque souvent ils sont leurs éducateurs, grand-frères et enseignants (psychologues?) et trouvent dans le lien aux adolescents en quête d’identité, une bonne distance (que les parents sont heureux de reconnaitre). N’est-il pas une fois de plus, paradoxal, de voir que la génération future pâtira du manque de projection ? Que vous le vouliez ou non, les jeunes pairont vos retraites et seront l’avenir de la station, à moins de continuer à supprimer l’homme – réduit à sa redevance, son ticket d’entrée ou son forfait –  de vos conceptions architecturales et hôtelières.

Que pensez-vous, messieurs les responsables, qu’un projet comme celui-ci se passe d’une réfexion sérieuse et poussée sur l’exploitation du site ? Mais… sincèrement… comment vouloir inciter au financement participatif, aux bons de jouissances et au financement privé si les personnes que l’on aimeraient séduire ne trouvent, au sein de votre projet, aucune place, aucun rôle auquel ils s’identifieraient ? Le capital humain est un investissement non chiffrable, mais il pérennise pour l’avenir un projet que nous voulons voir réussir.

Un paysage n’est pas seulement l’agencement de formes, ou un ensemble de critères à respecter afin de concilier la nature et la culture. Un paysage est d’abord une perception. Et qui perçoit ?… je vous le donne en mille… des gens ! c’est à dire aussi des corps, des sensibilités, des consciences… des personnes dignes et fières de travailler, de s’occuper des pelouses. des arbres, des haies, des terrains de tennis, de la patinoire, le jour, la nuit, le matin très tôt, le soir tard… des personnes heureuses – pas toujours, oui, bien entendues – de retrouver des personnalités connues qui donnent le ton au site. Des gens qui choisissent la solidarité à l’indifférence.

Non. Vous préférez le “ding ding” d’une sonnerie de réception au sourire d’un gérant, vous choisissez la pénibilité du travail à la convivialité d’un site, vous voulez l’eau chauffée à 32° qui ramollit et vieillit à l’eau des nageurs. Vous méprisez les enseignants de natation qui apprennent à nager aux enfants qu’ils retrouvent à skis… Vous méprisez les magasins de sports déjà nombreux dans la station au profit du vôtre… vous balayez d’un revers de main, M. Grobéty cette fois, le restaurant de la potinière et ses emplois.

Vivre en montagne c’est préférer le mélange des générations à leur fracture, c’est éprouver le déjà-là au lieu du soit-disant et c’est faire preuve d’une humilité que la montagne nous rappelle sans cesse, sans mutisme mais conscient du chemin à parcourir. Vivre en montagne, c’est dialoguer dans le respect de toutes (quelle absence de part féminine dans le dégagement de vos responsabilités !) et de tous, c’est voir grandir les enfants des voisins et des amis avec les siens ; et si ce n’est pas cela, c’est au moins ce qu’on y cherche (un temps d’illusion ?). N’écrasons pas l’humain sous le poids des volumétries et du mépris affiché, la conséquence sera la disparition des générations futures dans le “tissu urbain”…

Pourtant il faut souhaiter voir le projet se concrétiser et même si il n’y a plus de bassin pour les nageurs (400 mètres carré ? Est-ce sérieux ? une piscine de 50 mètres c’est 1250 mètres carré !). Toutefois, il faut aussi souhaiter qu’un comité de réflexion s’élabore autour de l’exploitation possible du site – telle est peut-être la ruse… laisser croire que le projet appartiendrait à tous et à chacun – mais les coups d’épée dans l’eau sont bien plus poétiques qu’il n’y paraît… et c’est quelquefois en marge de ce qui est estampillé “valable” que l’ont trouve à imaginer des possibles réalistes et respectueux de la personne.

D’abord l’homme, ensuite l’architecture. D’abord le contenu, ensuite la forme. D’abord l’avenir, ensuite les chiffres… et peut-être enfin, apprendre à marcher à l’endroit.

Bien à vous,

Lilian Schiavi – Despland, “garde-bain”

(c’est ben là comme vous avez dit donc ?)

– Ah ben tiens le garde-bain il a écrit un article !
– Ben dit donc y sait écrire !
– Ouais il est poète !
– Ah ben oui c’est un artiste… y paraît qu’il écrit des livres…
– Il dit quand même des choses bien.
– Il y connait rien !

… le je-ne-sais-quoi et le presque-rien.

Les Diablerets, chalet de l’étoile, le 12 février 2015

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